- eglisedumusee
40 jours pour... aimer sans mesure
Une femme brise un flacon d'un parfum de grand prix qu'elle répand sur la tête de Jésus.
Un geste passionné, un geste prophétique.
Une prière odorante.
Il y a eu, au début, l'or, la myrrhe, l'encens.
Cadeaux précieux pour celui qui ne demande qu'à être reçu et qui sera livré.
Signes de reconnaissance qui, déjà, désignent aussi la fin.
Roi, homme, Dieu, d'une manière qu'on ne pouvait pas prévoir.
Et voilà cette femme qui nous emmène par le bout du nez.
Fragrance offerte, lien entre terre et ciel.
Subtilités évanescentes qui pointent, dans leurs jaillissements libres et invisibles, vers une autre réalité possible.
La passion c’est-à-dire l’amour fou qui se donne sans raison apparente et qui paraît même illogique au bon sens.
Si l’on évalue ce geste en fonction des critères d’efficacité, de rendement, de succès, il reste décalé et incompréhensible. Au lieu de dilapider et répandre, il fallait vendre et distribuer.
Si la femme a donné sans compter, les disciples, eux, comptent.
"Mais quand on aime, on ne compte pas ! On est reconnaissant, on fait confiance, on accueille !" semble leur répondre la femme.
Geste d’amour qui n’est pas sans évoquer un autre amour démesuré celui-là aussi, celui de Dieu lui-même à l’égard des êtres humains.
L’amour passion de Dieu pour nous.
Cette femme l’a compris.
Son geste veut en dire quelque chose. Son geste est une réponse à cet Amour.
Par le parfum, la femme dit sa foi en Jésus-Christ.
Beauté de l’albâtre, parfum rare et précieux, un cadeau… royal : le meilleur pour celui que, par ce geste, elle reconnaît comme le Messie.
L’onction est faite sur la tête de Jésus; ce n’est pas un simple geste d’hospitalité comme le voulait alors l’usage qui consistait soit à faire parfumer les pieds des invités soit à leur offrir du parfum.
Non, ici nous sommes dans un autre registre : oindre la tête de Jésus, c’est le reconnaître comme « roi des juifs », Messie d’Israël. C’est une véritable confession de foi qui émerge ainsi, sans un mot, d’une inconnue.
Son attitude nous renvoie à une question fondamentale : N’avons-nous pas tendance à oublier que ce que nous croyons, n’est pas que parole, mais aussi acte, mais aussi sensation et sentiment ?
Cette femme, par son geste, porte une attention particulière au corps de Jésus.
Jusque là, c’est lui qui se préoccupait des corps souffrants, des malades qu’il croisait sur sa route. Et pour la première fois, quelqu’un prend soin de lui, une femme inconnue révèle sans un mot qui il est, lui.
Mais à part elle, personne ne comprend. Personne ne voit. Les disciples restent prisonniers de leur cours d’économie alors que le geste de la femme désigne autre chose. L’abondance du don, l’amour sans limite... c’est déjà la logique du Royaume qui est à l’œuvre.
La P/passion, c’est aussi la souffrance.
Avant le geste de cette femme, nul ne s’était préoccupé du corps de Jésus; lui avait soigné le corps des autres. Après le geste de cette femme, tous les gestes qui suivront ne seront que mépris et mauvais traitements : crachats, gifles, flagellation, crucifixion.
Il faut faire mémoire du geste de cette femme comme le demande Jésus.
Une femme le reconnaît pour ce qu’il est, elle accomplit un geste d’amour et de reconnaissance avant le déferlement de la violence humaine.
Et c’est en cela aussi que ce geste est prophétique. La femme a vu, elle a reconnu le Messie, l’envoyé, c’est en lui qu’elle a placé sa confiance.
Mais par son geste, elle offre aussi un hommage funèbre anticipé.
Elle procède à l’onction, un rite d’ensevelissement.
Le don renvoie à la nécessité de se désinvestir de ce à quoi l’on était attaché.
Donner, c’est lâcher quelque chose, c'est accepter de ne pas tout maîtriser... c'est ainsi que l'on peut entrer dans le mystère de la Passion.
Georgia O'Keefe, Abstraction White Rose, 1927

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