- eglisedumusee
I want to breathe, I can fly
Bruneau Joussellin

Claire Guerry, Colombe, verre fusionné
Petit à petit le déconfinement se met en place, et nous pouvons reprendre nos activités d’avant, avec cette terrible question : ne devrions-nous pas ne pas recommencer comme avant ? Changer, en mieux, bien entendu. Comment ?
Cette pandémie laissera beaucoup de traces, ne serait-ce qu’à travers l’angoisse de la mort prochaine possible, qui n’a d’ailleurs pas disparue. Elle semble moins proche, c’est tout. Effet d’illusion ou réalité. Ce sont nos propres comportements qui le diront.
Chacun des décès survenus ou qui surviennent est un drame, au sens étymologique de ce terme : une scène où se joue quelque chose de la vie et de la mort. Un drame avec l’impossibilité de s’approcher, de se toucher, et peut-être de se retenir dans la vie.
Parmi toutes ces morts qu’il ne faut surtout pas hiérarchisées, j’en retiens cependant une, celle de Luis Sepúlveda que le Covid-19 a emporté. Romancier, essayiste, né au Chili en 1949. Si vous n’avez pas lu Le vieux qui lisait des romans d’amour, vous avez trouvé votre roman de l’été, infiniment drôle tout en étant infiniment sérieux, déjà ancien, mais abordant les sujets d’aujourd’hui : la survie de la forêt amazonienne, l’écologie.
En 2004, mais datant de 1996 pour la version originale, a été publié aux éditions Métailié, l’Histoire d’une Mouette et d’un Chat qui lui apprit à voler. Presque un roman animalier pour enfants, et qui pourtant s’adresse aux adultes. Une mouette, prise dans une marée noire, recouverte de pétrole, meurt dans le port de Hambourg en pondant un œuf. Un chat, Zorbas, lui promet alors de prendre soin de l’oisillon à naître et de lui apprendre à voler. Promesse contre-nature qui engage cependant toute la guilde des chats du port. Au fil des pages, tendres, des touches de gravité qui résonnent de nos jours : En mer, il arrive des choses terribles. Parfois je me demande si quelques humains ne sont pas devenus fous, ils essayent de faire de l’océan une énorme poubelle… Nous avons sorti des barils d’insecticide, des pneus, des tonnes de ces maudites bouteilles de plastique que les humains laissent sur les plages.
Mais aussi des pages où la fraternité n’est pas l’apanage des humains – l’actualité nous en donne malheureusement encore une illustration : Nous t’avons donné toute notre tendresse sans jamais penser à faire de toi un chat [dit Zorbas le chat, à Afortunada la jeune mouette]. Nous t’aimons mouette… avec toi, nous avons appris à apprécier, à respecter et à aimer un être différent. Il est très facile d’accepter et d’aimer ceux qui nous ressemblent, mais quelqu’un de différent c’est difficile… Quand tu y arriveras - à voler -, Afortunada, je t’assure que tu seras heureuse et alors tes sentiments pour nous et nos sentiments pour toi seront plus intenses et plus beaux, car ce sera une affection entre des êtres totalement différents.
L’Évangile ne dit pas autre chose lorsqu’il commande l’amour du prochain. Non pas de celui qui est semblable, mais bien de l’infiniment différent, de l’antagoniste.
Et la conclusion du livre que je fais mienne en ce temps de déconfinement où le monde doit être autre. En face de ce vide, alors qu’il serait si facile de revenir au temps d’avant, une leçon évangélique – Jésus disant au paralytique : Lève-toi et marche ; ce qui en soi est absurde, mais de l’absurde surgit le futur – après qu’Afortunada se soit envolée :
– Eh bien, chat, on a réussi…
– Oui. Au bord du vide, elle a compris le plus important…
– Ah oui ? Et qu’est-ce qu’elle a compris ?
– Que seul vole celui qui ose le faire.
À condition de ne pas avoir un genou sur la nuque et de n’avoir pas comme parole ultime
I can’t breathe.
Miaou… ou en langue humaine et liturgique : qu’il puisse en être ainsi...
I can breathe, I can fly !